L’histoire falsifée du XIXème siècle

…Nous semblons oublier que, aussi pénible qu’il fut; le passage à l’usine représentait pour beaucoup d’ouvriers de l’époque, même des femmes et des enfants, une véritable libération par rapport aux conditions de vie infernales qui étaient le lot des journaliers agricoles ou des travailleurs à domicile de la période préindustirelle dont aujourd’hui nous idéalisons la situation, avec nos yeux d’hommes du XXème siècle (sans parler des immigrants irlandais échappant à la grande famine).

Henri Lepage

De même, nous oublions que le travail à l’usine et dans la mine, pour beaucoup d’enfants, valait tout de même mieux que de périr de faim, et que de toute façon, dès le milieu du XIXème siècle, grâce à la progression du niveau de vie permise pat les salaires industriels, le travail des femmes et des enfants était pratiqueinent en voie de disparition avant même que l’Etat n’intervienne. Ce il’est pas le pouvoir politique qui mit fin au scandale du travail des enfants, mais bien le succès même du capitalisme industriel qui réussit à promouvoir la hausse dupouvoir d’achat des masses, et à révolutionner par là les conditions de vie familiale.

La législation publique innove rarement; elle prend plus souvent le train en marche pour sanctionner une situation déjà bien avancée (généralement pour protéger les entrepreneurs les plus «progressistes» contre la concurrence alors jugée «déloyale» de ceux qui n’en sont pas encore au même point qu’eux: l’Etat intervient pout généraliser et non pour créer)

(…)

Il est vrai que nous disposons d’une abondante documentation témoignant de la gravité du problème de la pauvreté pendant tout le XIX· siècle, écrivent par exemple W.H. Chaloner, W.O. Henderson, et J.M. Jefferson. Les rapports parlementaires de l’époque sont des sources bien connues.

De même, les romans «populistes» du siècle dernier constituent une source incontestable de témoignages valables. Cela dit, lorsque nous prenons ces témoignages pour argent comptant, et en tirons une description générale de ce qu’aurait été à l’époque le sort de la majorité de la population – c’est ce qu’ont fait nos livres d’histoire, du moins ceux qui se lisent le plus dans les écoles et les universités – nous sommes en fait victimes d’une double erreur d’optique liée au caractère partial et partiel de ces documents.

D’une part, ceux-ci traduisent le fait que la croissance industrielle a provoqué l’apparition d’une nouvelle sensibilité au problème de la pauvreté, qu’ils n’établissent les preuves irréfutables d’un mouvement massif de paupérisation. D’autre part, il ne faut pas oublier que ces travaux politiques ou romanesques s’inséraient le plus souvent dans un contexte d’hommes engagés qui ne cherchaient pas à faire œuvre d’historiens ou de témoins impartiaux et objectifs.

Imaginons que dans un peu plus d’un siècle, les hommes de l’an 2080 se contentent pour reconstituer les conditions de vie de 1970 des discours de nos leaders syndicalistes et des déclarations cataclysmiques de nos écologistes modernes, il y a fort à parier que nos descendants se demanderont comment la race humaine a pu survivre jusqu’à eux. “

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“Demain le capitalisme”. Henri Lepage (1978)

Chapitre II: L’histoire défalsifée

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